Une simple comparaison des fréquences d’utilisation de ces quatre termes, tous sens inclus, montre que « louper » et « laisser échapper » sont très peu usités en comparaison avec « rater » et surtout « manquer », qui est de loin le plus usité.
1.
A/ Peut-on expliquer ou illustrer la nuance entre le sens (ou l’emploi de) de rater/manquer et celui de laisser échapper ?
Dans le contexte d’une occasion il y a une nuance mais si ténue dans certains cas qu’on se demande s’il faut vraiment en tenir compte. Comme je la perçois, il n’est pas question d’autre chose que d’un état d’esprit propre à la personne qui « laisse échapper », cet état d’esprit faisant défaut à la personne qui « manque » ou « rate » et n’étant qu’une plus ou moins grande conscience de la réalité d’une occasion possible ; cela trouve une confirmation dans le sens de « échapper » qui est à prendre en compte ici : « (TLFi) 1. Cesser d’être pris ou retenu. ». Pourquoi ne pas accepter le second sens possible de « échapper » , c’est à dire « Ne pas être pris. » ? Il n’y a pas trop d’indications qui puissent justifier ce choix ; j’en trouve une dans l’utilisation de la forme verbale « laisser échapper » dans un autre contexte et je suppose qu’il s’agit de la même idée ; cet autre contexte c’est celui de l’expression « laisser échapper un propos » (émettre un propos malgré soi) : le propos est évidemment « pris », « retenu », pour qu’il puisse être émis.
Exemples (dus à mon imagination)
-
Il avait été prévenu de la posssibilité de contacter un service avant une date limite ; cela aurait pu lui permettre éventuellement de régulariser sa situation à courte échéance ; il a attendu, ne sachant pas quels risques il courrait, ne sachant que faire, dans l’indécision, et a finalement
manqué/raté/laissé échapper cette opportunité. (Il semble préférable de ne pas utiliser « manquer » ou « rater ».) -
Ce contribuable bénéficiait d’une réduction d’impot à condition de fournir des justificatifs en temps opportun ; il s’y est pris en temps voulu pour faire les démarches en vue d’obtenir les justificatifs mais des lenteurs administratives ont fait qu’il n’a pas pu fournir les papiers demandés avant la date limite ; comme on ne peut pas vraiment conclure qu’il ait manqué/raté/laissé échapper cette opportunité d’une réduction, ne peut-on pas invoquer sur le plan de la légalité un tort qui lui a été fait et obtenir un redressement? (Il semble que l’on puisse aussi utiliser « manquer » ou « rater » bien que « laisser échapper » paraisse légèrement préférable.)
B/ De quel sens de louper s’agit-il dans l’extrait ?
(TLFi) I. Emploi trans.| B. Qqn loupe qqc./qqn |1. Qqn loupe qqc. Ne pas réussir à profiter de, à saisir une occasion; ne pas arriver à temps pour.
Il s’agit de ce sens, évidemment parce qu’il est question de louper une occasion donc de louper quelque chose et que le sens « A » implique qu’il s’agit d’une opération qui tourne mal ou qu’i n’aboutit pas.
C/ peut-on employer « louper » pour « laisser s’échapper » ?
Dans la mesure où « louper » est considéré n’être qu’un synonyme de « manquer » et « rater » dans le sens ci-dessus ((TLFi) rater II. Empl. trans. Qqn rate qqc., qqn. Synon. fam. louper.; manquer A. Manquer qqc. Synon. fam. louper, rater.), on peut employer « louper » à la place de « laisser s’échapper » selon que l’on peut employer « manquer » ou « rater » à sa place, ce qui est le sujet du « A ».
2.
La nature commune des deux sens est dans leur propre de caractériser l’échec ; je ne suis conscient d’aucun principe qui explique ce « glissement » du sens sauf celui d’un rapprochement dans la pensée humaine, ce rapprochement ayant été inspiré seulement par l’idée d’échec commune aux deux contextes.
3
- D’après la courbe de fréquence d’utilisation de « louper » il existe une augmentation constante et importante de son utilisation depuis environ 1950. Cependant, mon impression est que le mot reste un terme familier ; il ne semble pas figurer dans le vocabulaire standard ; il semble que beaucoup de monde préfère toujours entendre « réussir ses plats » plutôt que « ne pas louper ses plats » ou « ne pas réussir à un examen » plutôt « louper un examen ».
- Par rapport à la presse telle que l’on peut s’en faire une idée en France il n’y a rien de surprenant.
- Du point de vue du contexte culturel français, même si celui-ci est caractérisé je crois par des standards linguistiques plus relâchés dans la presse que dans le monde politique, il ne serait pas véritablement surprenant d’entendre ce mot de la bouche d’un personnage politique jusque dans ses propos assez formels ; après tout ce n’est plus de l’argot mais un terme familier sans connotations vulgaires (an contraire de « foirer », par exemple, lequel mot serait surprenant, franchement une cause d’irritation, qui que soit le locuteur qui l’utiliserait).
Sans chercher à répondre aux questions, juste pour rendre hommage au très savant Gérard Genette qui, je ne sais plus dire dans quel travail précis, s’est intéressé dans le détail au très riche vocabulaire de l’échec en tous genres.
Et surtout citer sa conclusion amusante qu’il livre dans ‘Apostille‘ :
«…depuis Homère, la défaite (La chute de Troie, le massacre de Roncevaux, la retraite de Russie…) est plus sympathique, paradoxalement plus glorieuse, et en tout cas plus poiétogénique ou pour le moins logogénique que la victoire.»
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