Lost your password? Please enter your email address. You will receive a link and will create a new password via email.

What is the capital of Tunisia?

Please type your username.

Please type your E-Mail.

Please choose the appropriate section so the question can be searched easily.

Please choose suitable Keywords Ex: question, poll.

Type the description thoroughly and in details.

What is the capital of Tunisia?

Évolution de la prononciation du nom du Christ au sacre québécois « criss(e) »

L’élimination de la seconde consonne dans un groupe à la fin d’un mot est extrêmement courante, autant en Français (énormément de gens ne prononcent pas les -l ou -r dans les finales comme -dre ou -ble, par exemple) que dans les autres langues. De fait, j’entends plus fréquemment /cri/ que /crist/ (la prononciation en /cri/ étant parfaitement normale elle aussi) dans Jésus-Christ au Québec.

Si le mot Christ en dehors d’un juron, est généralement prononcé avec un /t/, c’est plutôt que ce mot a plus de chance de se retrouver dans un langage de niveau relevé (par exemple à l’église), qui s’accompagne d’une prononciation soutenue.

Il y a très souvent distinction entre les manières de prononcer les mots sacrés et les jurons dont ils sont tirés. Il est improbable que l’on puisse affirmer que la distinction provienne de l’utilisation d’une prononciation plus soutenue lors de la célébration de la messe catholique, puisque celles-ci se faisaient en latin jusqu’en 1962 et que le phénomène du juron inspiré de la lithurgie catholique aurait commencé environ un siècle auparavant. Je cite à cet égard un document du Conseil supérieur de la langue française, la source de cette affirmation :

Si les jurons français se sont maintenus jusqu’à nos jours, une nouvelle tendance se manifeste cependant au début du XIXe siècle avec l’avènement des chantiers forestiers : il s’agit d’une spécialisation qui s’inspire directement du vocabulaire liturgique habituellement réservé aux ecclésiastiques : les baptême, ciboire, hostie, calvaire, tabernacle, christ et calice apparaissent dans les interjections de nos Canadiens qui les désignent comme des sacres.

Si les célébrations se faisaient en latin, il demeure sans doute que la vie quotidienne de l’Église se faisait en français, et que les termes lithurgiques étaient sans doute prononcés de manière soutenue et respectueuse. Le tabernacle devait y être désigné ta-berre-nac-l(e), le Christ crist, le calice ca-li-ss, etc.

La grande majorité de ces termes utilisés comme juron ont subi une modification de prononciation, lesquelles suivent généralement les variations naturelles du langage populaire, selon ses tendances globales ou ses particularités québécoises :

  • tabernacle devient tabarnak, le E devenant A en suivant le même principe qui transforme au Québec verte en varte, fermer en farmer ou merde en marde1, et le L final tombant selon une tendance tout-à-fait générale dans la Francophonie qui ne maintient que la première consonne d’un bloc final de consonnes.
  • sacrement devient sacrament et Vierge devient viarge selon le même principe de transformation du E en A.
  • calice devient câlisse, introduisant ici une différence notable de prononciation sur le A, mais selon une distinction qui n’est plus le fait de tous dans la Francophonie (le A de calice est comme celui de patte, celui de câlisse comme celui de pâte).
  • hostie se simplifie communément en stsi, dont le i final s’étire parfois assez longtemps (en toute relativité, bien sûr).
  • Bon Dieu devient bon yeu (sans liaison : aucun N n’est prononcé). Je ne trouve pas beaucoup d’exemples similaires dans la langue en général, mais il y a au moins le diable qui reçoit le même traitement. Une expression commune encore aujourd’hui les mets d’ailleurs côte-à-côte pour exprimer que l’on ne croit pas qu’il existe une explication simple à un phénomène observé qui semble incompréhensible : « Le Bon Yeu l’sait pis l’yâb s’en doute ».
  • Et finalement, le Christ devient crisse, selon le même principe d’économie des consonnes dans le bloc final.

Je termine en citant un extrait d’un article, qui synthétise assez bien la distinction qui s’est créée entre le vocabulaire sacré et le profane :

Le procès de l’euphémisation joue un rôle crucial dans la distinction entre les sacres et les objets de culte dont ils proviennent. C’est par la prononciation que l’objet liturgique tabernacle devient tabarnac ou, par des procédés dérivationnels, tabarnouche, tabarouette, etc., christ se prononce crisse, calice devient câlice et hostie est parfois réduit jusqu’à la sifflante sti. Il y a donc une double terminologie – religieuse et profane – distinguée par la prononciation et la morphologie des mots.


1 Sur une note légère, je mentionne ma grand-mère, qui était moqueuse et riait doucement des gens qui cherchaient à masquer leur parler populaire en corrigeant certains aspects de cette langue, dont ces E transformés en A, surcorrigeant à l’occasion. Elle disait d’eux qu’ils « cherchaient à bien perler ».

  1. Les québecois prononcent le t en disant seulement « Le Christ », mais prononceront cri en disant « Jésus Christ. »
  2. Outre les phénomènes purement linguistiques, il y a un élément social crucial à inclure dans l’explication de l’émergence de termes religieux utilisés comme jurons au Québec: le désir de défier l’autorité de l’Église catholique. L’emprise du clergé sur tous les aspect de la vie était si écrasante pour un si grand nombre de québécois (en culminant avec l’ère Duplessis et la Grande noirceur, avant de changer radicalement dans les années 60 avec la Révolution tranquille) que d’utiliser de façon dérisoire et obscène les mots considérés sacrés était une façon de déclarer son indépendance intellectuelle et morale. Cependant, la peur de répression et le respect des traditions étant bien ancrés, la modification de la prononciation jouait également le rôle de porte de sortie, en quelque sorte, comme si le fait de prononcer crisse n’était pas équivalent à dire le nom du Seigneur en vain — pêché répréhensible, moralement bas et digne de punition à l’époque.

 

Leave a comment

What is the capital of Tunisia?