Oui, il s’agit bien d’un type d’élision. Elle n’est normalement pas marquée à l’écrit mais se rencontre fréquemment à l’oral, en particulier dans la langue non soutenue.
L’élision du u de tu a certainement une origine très ancienne puisqu’on la retrouve dans un texte du Moyen Âge (Huon de Bordeaux):
dont ma tentative de traduction est:
Tu as une bonne cotte de maille et le bras qui la ceint est prêt…
L’élision de tu es ou tu as est courante en région parisienne en plus généralement dans les régions françaises correspondant à la langue d’oil. Cette élision est plus rare dans le sud de la France où, au moins à Marseille, on entend une autre prononciation où le u de tu se transforme en i pour donner "ti as" (parfois écrit t’y as ou t’ias).
D’autres pronoms peuvent être aussi sujets à des évolutions de prononciation :
je viens → j’viens
je ne sais pas → je sais pas → j’sais pas → chais pas
il vient → y vient
il est pas bien malin → l’est pas bien malin
elle n’est pas bien mali(g)ne → l’est pas bien maline
elle vient → è vient
vous avez raison → z’avez raison
ils ont gagné → z’ont gagné
Oui, c’est un type d’élision.
On emploie diverses stratégies pour résoudre le hiatus, c’est-à-dire une séquence de deux voyelles ou plus à la suite.
La stratégie qu’on voit ici est de supprimer tout simplement l’une des voyelles, normalement la première. Lorsque cette voyelle est /ə/ (voyelle réduite du point de vue de la phonologie) cette résolution est répandue dans tous les registres, comme tu le sais :
Le gros âne
L’âne
Mais la voyelle /y/ que comporte « tu » /ty/ n’y succombe qu’au niveau populaire, et oui, cela se passe également dans bien d’autres cas :
T’as vu ça ?
T’aurais pas voulu …
T’étais en train de dire quelque chose ?
C’est qu’à l’oral et dans la langue non « soignée » on met l’accent sur l’énonciation fluide, rapide, facile. Une séquence de voyelles n’est qu’une séquence de mouvements de la langue et des lèvres sans intérruption. Cela tend à produire des semi-voyelles (e.g. « tu es » /tɥe/) dont l’élision s’ensuit assez souvent.
On notera que seulement « tu » se comporte exactement ainsi parmi les pronoms sujets, en ce que concerne le hiatus. C’est que « je » termine déjà par /ə/ déjà et donc l’élision est la stratégie préférée dans tous les registres, tandis que tous les autres pronoms sujets terminent par une consonne, donc il n’y a pas de hiatus.
Une autre stratégie pour résoudre le hiatus est d’insérer une consonne, p.ex. /t/ :
Il a chanté.
A-t-il chanté ?
Ceci se produit dans certains registres là où c’est interdit à l’écrit, p.ex. /z/ :
Donne-moi-en.
Donne-moi-z-en !
Cette consonne est parfois le vestige d’une ancienne forme, p.ex. /l/ :
Un beau cheval
Un bel âne
Et il y a des mots dont le hiatus fait partie, tels que « Hawaï », indiqué en français par le tréma.
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