L’auteur a fait ses choix.
Pour passer la frontière des langues, rien ne vous empêche de donner une autre « vision », une autre oralité.
La « licence poétique » renvoie à l’origine du sens par-delà le mot écrit, pour migrer vers le mot « chanté ».
Bien sûr il faudra préciser ce que vous avez modifié dans la traduction de l’auteur, mais reprendre tout le texte est un enjeu passionnant pour approfondir sa connaissance des mots la signification de leur place dans le phrasé, les nuances qui « explosent » les certitudes illusoires… en toute liberté, hors des conventions :
No vanity displayed :
I’m looking for the face
I had Before the world was made.Rien de vain n’apparaît,
Je recherche mon visage
D’avant la naissance du monde
Puis
I’d have him love the thing that was
Before the world was made.Je le ferai aimer ce qui était
Avant la naissance du monde
Ou, si le nombre de pieds compte :
Il aimera ce qui était
Avant que le monde naisse
Le poème est sublime. Et en l’occurrence même si la traduction proposée (avec le fameux n’ qui te gêne) est a priori excellente, je ne trouve pas ton questionnement hors de propos, on pourrait imaginer ou souhaiter d’autres traductions. Je me permets de suggérer quelques pistes à envisager, plus ou moins libres, ne serait-ce que pour faire avancer tes recherches ou suggérer d’autres associations.
Avant que fut le monde
Avant que soit le monde
Avant que le monde soit
Avant la fection du monde (?!)
Avant le fait du monde
Avant que le monde soit monde
Dans l’avant du monde
Au deça du monde
Avant que le monde soit fait (© Istao 2014)
Il s’agit ici de l’emploi explétif de ne.
Au sujet de cet emploi voir la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française et le Centre de communication écrite de l’Université de Montréal, qui mentionne son emploi avec « avant que ».
Grevisse signale que l’usage du « ne explétif » dans les subordonnées (ce qui est le cas ici), non obligatoire et qui tend à disparaître, se trouve à l’écrit dans le registre littéraire. Et c’est précisément pour rendre la langue de Yeats, littéraire s’il en fût, que Bonnefoy conserve l’usage du ne explétif dans une tournure elle-même littéraire. Le rôle du traducteur n’est pas de traduire mot à mot mais de traduire une atmosphère tout en gardant le sens. Traduire Yeats exige l’usage de tournures littéraires, voir désuètes, et certainement pas une langue de tous les jours.
Une autre raison, ou une raison supplémentaire au choix du traducteur d’introduire ce ne explétif, serait une question de diction, car la poésie est avant tout faite pour être dite.
Le ne explétif entraîne plus facilement, de par son image littéraire, une diction elle aussi littéraire ; il amène à ralentir le rythme de la parole, et à faire la distinction entre le son /i/ dans le son /j/ qui seraient spontanément (mais bien sûr pas obligatoirement) assimilés dans le discours normal non littéraire :
- sur deux syllabes |qu’il|y ait| [kilje]
- sur trois syllabes |qu’il|y|ait| [kilije]
L’introduction du son consonne /n/ supplémentaire rend la diction |qu’il|n’y|ait| [kilnije] plus spontanée.
On remarquera le choix du traducteur de faire trois vers de huit syllabes (si recherche reste dit sur deux syllabe et pas trois).
Il signifie “avant la création du monde”!
Il y a une expression française :
“Avant que le monde soit monde”
Ce n’est pas très utilisé oralement mais c’est une formule assez poétique qui convient bien dans ce cas.
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